nuage-de-motsQuelle différence y a-t-il entre un dialogue et une négociation ? Le premier peut se concevoir comme un échange entre des personnalités différentes, mais de bonne volonté, à la recherche de points d’entente. La seconde s’établit entre des parties sans état d’âme à la recherche d’un accord évalué en fonction de leurs intérêts. Le distinguo peut paraître ténu. Pourtant, il marque la distance qui éloigne désormais les élus locaux de l’Élysée.  

Il y a quelques mois encore, le gouvernement espérait renouer le fil d’un dialogue distendu avec les collectivités locales. En juillet, les représentants des trois plus grandes associations d’élus (communes, départements et régions) avaient séché la Conférence des Territoires organisée par l’Élysée et Matignon. L’exécutif avait voulu croire qu’il s’agissait d’une bouderie passagère. Cette union des structures territoriales aux intérêts parfois divergents, soumises à des tiraillements partisans en interne, ne durerait pas. Làs, à Marseille, en septembre, à l’occasion du Congrès des Régions de France, les trois associations affichaient leur convergence pour lancer, d’une seule voix, un appel face à la « recentralisation inédite » mise en oeuvre par le chef de l’État. Baroud d’honneur avant le nécessaire retour aux réalités financières pouvait encore croire l’exécutif, en remarquant que ces trois associations sont dirigées par d’anciens ministres de droite par conséquent partisans. Le gouvernement pouvait même espérer glisser un coin entre les trois présidents François Baroin, Dominique Bussereau et Hervé Morin. Le second a en effet été approché pour intégrer le gouvernement d’Édouard Philippe à la tête d’un ministère dédié aux collectivités locales. Mais Dominique Bussereau a décliné l’offre. De son propre aveu à LCI, il était « en colère de voir le gouvernement fâché avec les élus locaux. »

Fantassins de la République au quotidien

La prise de parole de François Baroin à la veille de l’ouverture du congrès de l’ADF (à partir du 8 novembre à Rennes) n’est pas de nature à rassurer le gouvernement. Le front des élus ne se fendille pas. Au contraire, François Baroin assure être totalement solidaire des départements, notamment sur l’accueil des mineurs isolés. Le président de l’Association des Maires de France met vigoureusement en garde l’exécutif. Il n’est plus temps de dialoguer mais de négocier, et cela, sur  la base des propositions des élus. Au cas où le gouvernement n’aurait pas compris, il précise. L’appel de Marseille « a acté le non-respect des engagements d’Emmanuel Macron ». « Nous ne lâcherons plus aucun centimètre dans la négociation. »

Autrement dit, le lien de confiance entre les élus locaux et le pouvoir exécutif est rompu. Croire que cette rupture se fonde sur des postures partisanes serait une erreur. Bien sûr, chacun a son histoire politique et partisane, mais elle n’est pas l’unique cause de cette mésentente. L’incompréhension repose sur des cultures politiques différentes dépassant ce seul cadre. Le dialogue est rompu, car le président de la République ne parle pas le même langage que les élus locaux. Il ne les considère pas comme des acteurs institutionnels à part entière.

« Nous sommes les fantassins de la République au quotidien », clame François Baroin, qui pose l’enjeu sur le terrain de la démocratie. Le système repose sur la complémentarité entre le pouvoir national et local. « Nous sommes la meilleure réponse » là où l’État est impuissant, estime François Baroin, qui précise, « nous sommes par nature aux côtés du Président pour faire vivre la démocratie ». Or, Emmanuel Macron ne donne pas le sentiment de vouloir s’appuyer sur cette complémentarité. La décentralisation est menacée dans son principe, et par là même la démocratie.

Qui décide paie, et qui paie décide

Plusieurs incidents politiques ont alimenté ce sentiment chez les élus locaux. Il y a d’abord eu le hashtag #BalanceTonMaire lancé début octobre et repris par un compte proche de la majorité présidentielle. Il accusait les maires qui augmentent leur taxe d’habitation. Non seulement la stigmatisation ignorait le principe de liberté de gestion des communes, mais l’analogie avec le mouvement #balancetonporc désignant des agresseurs sexuels a choqué jusque dans les rangs d’En Marche. Une formule « insupportable, inacceptable » selon François Baroin pour lequel le procédé relève du « populisme d’État ».

Autre sujet de courroux, l’imprécision de l’État sur l’origine des financements qu’il porte à son crédit. La reconstruction de Saint-Barth et Saint-Martin après le passage du cyclone en est l’illustration pour le président de l’AMF. Emmanuel Macron a donné le sentiment de déclencher la solidarité nationale, mais la somme dédiée à cette opération est prise sur la dotation d’investissement des collectivités locales. Il ne s’agit donc pas de la solidarité nationale, mais de la solidarité des collectivités locales.

L’accumulation de ces imprécisions ou maladresses finit par faire déborder le vase. Et celui de François Baroin semble bien plein. Il est tout aussi irrité par la taxe sur le gazole que l’exécutif pourrait faire compenser par les régions, comme Xavier Bertrand dans les Hauts de France. Quand Dominique Bussereau s’indigne parce que « L’État fait des bêtises, puis il appelle les collectivités : Venez m’aidez à les réparer! », François Baroin renchérit en parlant d’une « double peine » imposée au contribuable qui paierait deux fois l’essence. Une fois à la pompe, une fois à la région. « Il faut travailler sérieusement » tance-t-il. Et travailler sérieusement selon lui, c’est la loi du portefeuille autour de deux idées simples : » qui décide paie et qui paie décide ». L’État doit assumer à son niveau les conséquences budgétaires de ses décisions. Les collectivités territoriales veulent dire leur mot sur les dépenses qui leur sont transférées. La campagne de communication lancée par l’AMF avec le hashtag #MacommuneJyTiens n’est que la première salve d’une offensive visant à prendre l’opinion à témoin. Car cette campagne ne se décline pas seulement sur des panneaux d’affichage, chaque maire est appelé à la relayer. La simple application d’un principe qui a fait ses preuves en diplomatie. Avant d’ouvrir une négociation, il convient d’apprécier les forces en présence. Les fantassins sont moins galonnés que les généraux, mais leur nombre et leur connaissance du terrain font la force d’un régiment.

 

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