un gouvernement de perpléxitude

Éric Dupont-Moretti à la Justice, Gérald Darmanin à l’Intérieur, Roselyne Bachelot à la Culture, Barbara Pompili à la transition écologique, les équilibres internes à ce premier gouvernement Castex nous plongent dans la perplexité et l’incertitude. 

Quelle est donc la logique de ce gouvernement ? La question s’impose tant le message affiché par ce gouvernement, avec assez peu de fortes figures nouvelles, demeure assez flou.  

Coté anciens de LR, le compte y est. Par ordre d’entrée en scène et à l’aune des sujets de préoccupations des Français, Bruno Le Maire assied fermement sa position. L’ambitieux qui se voyait porter les couleurs de la droite à la présidentielle de 2017 est devenu pragmatique. Il joue l’efficacité du portefeuille, plutôt que l’affichage médiatique. En tant que Ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire était déjà au coeur des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire, il en endosse désormais le titre officiel et opérationnel avec cette précision : « ministre de la Relance ». 

 Plus spectaculaire évidemment, la promotion de Gérald Darmanin à l’Intérieur. Jean Castex avait déjà signifié son désaveu envers Christophe Castaner, en se rendant auprès des policiers de La Courneuve, sans l’ancien titulaire de Beauvau. On ne saurait être plus clair. Il y aurait eu des tiraillements entre le président et son Premier ministre sur le choix du titulaire. Ce sera bien difficile à vérifier. Si tel avait été le cas, il faudrait en conclure que le président aurait cédé sur ce ministère on ne peut plus régalien. Pour preuve, la longévité de Christophe Castaner, désavoué par les policiers et l’opinion, mais fidèle du président Emmanuel Macron. 

Une fois ces ministères décisifs attribués à des visiteurs respectés de Nicolas Sarkozy, il aurait fallu contrebalancer avec des ministres issus de l’autre bord. Des macronistes issus de la gauche, par ecemple. 

Dans l’ancien monde, le ministre de la justice constitue souvent un contrepoids à celui de l’Intérieur. Que penser de la nomination de l’avocat fort en verbe, Éric Dupont-Moretti ? Non seulement le parcours « d’acquitator » ne suggère pas vraiment un CV très idéologique sur le plan politique. Sera-t-il le meilleur adversaire de Gérald Darmanin? Pour l’heure, sa nomination braque une partie de son ministère : les magistrats. C’est sûr, cette nomination fait du bruit. Est-ce un bon bruit? Le bruit est-il forcément salvateur en politique ? Les grands discours font-ils une grande politique? La conclusion ne va pas de soi.

Quant à l’autre surprise du jour, Roselyne Bachelot, sa nomination à la Culture démontre combien le savoir-faire de l’ancien monde peut apporter du neuf à la réinvention promise par le chef de l’État. 

Tout changement de Premier ministre suppose un savant dosage entre prise de risques et consolidation des acquis. Mais ce soir, entre la consolidation des positions des ministres issus de la droite, et la prise de risque assumée avec la nomination d’un avocat fort en gueule – autrement dit inmaitrisable – Emmanuel Macron ne crée pas la surprise. Il laisse perplexe. C’est déjà mieux que de décevoir.

Jean Castex, celui qui ne s’efface pas

L’affaire était entendue. Le nouveau premier ministre serait effacé, sans personnalité aucune, juste un collaborateur technocrate destiné à mettre en oeuvre le politique du brillant président de la République. En quelques déclarations, le nouveau chef du Gouvernement a démontré le contraire. Jean Castex a du caractère, des valeurs, des ambitions, de l’expérience politique, et il entend que chacun s’en rende compte. « Quand vous aurez appris à me connaître… », promet-il aux journalistes du JDD.

Il ne faut pas se fier aux réputations trop facilement répandues. Elles reflètent bien souvent des conclusions faciles et donc inexactes. Parce qu’Emmanuel Macron n’a pas jugé utile de justifier le départ du populaire Édouard Philippe, chacun a compris que le président éloignait de lui son Premier ministre, car il prenait trop bien la lumière. Son successeur serait donc terne et sans saveur, afin de permettre au président de retrouver toute la force de l’éclat élyséen. Le CV de Jean Castex ne contredit pas ce préjugé. Même si sa carrière l’a mené au coeur de plusieurs ministères puis à l’Élysée, Jean Castex est resté dans l’ombre des cabinets. Cette qualité devait demeurer immuable.

Mais le nouveau Premier ministre se révèle surprenant. Certes, son maniement du verbe n’a rien de flamboyant. Au contraire, il choisit avec soin des mots simples, précis. À l’emphase, cet homme-là semble préférer l’exactitude. Il faut donc écouter ses mots avec attention. Ceux qu’il prononce et ceux qu’il ne prononce pas.

Logiquement, lors sa première prise de parole, il semblerait cohérent que ce premier ministre collaborateur incroyablement promu par le président de la république rende longuement et humblement hommage à son bienfaiteur. Que nenni, Jean Castex n’a pas tressé les louanges d’Emmanuel Macron, mais le panégyrique d’Édouard Philippe. Il insiste sur le fait que c’est le Havrais qui est venu le chercher pour mettre en oeuvre le déconfinement. Il valorise son bilan économique comme étant l’un des meilleurs d’Europe avant la crise sanitaire. Il définit son style : courage clairvoyance, hauteur de vue et élégance. Et si le nouveau Premier ministre reconnaît que les priorités et la méthode devront évoluer, Jean Castex dit s’inscrire dans la continuité d’Édouard Philippe dont il prédit que ses « immenses talents vont durablement rester au service de la France ». Peut-être s’est-il laissé emporter par l’émotion ? Non, au 20 heures de TF1, Jean Castex réitère ce pronostic.

Projeté devant des millions de téléspectateurs, Jean Castex n’a pas peur de la lumière. Certes, il ne « la cherche pas », mais il s’en accommode plutôt bien. « Je suis Premier ministre, martèle-t-il sans émotion, mais avec assurance, je suis un homme politique ». Quant à sa relation avec le président de la République, ce « gaulliste social » la définit de façon institutionnelle  : « le Premier ministre dans la Vè est sous l’autorité du président de la République ». Tiens donc, il aurait pu glisser un petit mot de gratitude, une forme de subordination démontrant son effacement ? Jean Castex s’en passe. Et dans le JDD, il met clairement les points sur les « I ». Cette relation institutionnelle n’est pas de nature à éteindre sa personnalité politique. « Certainement pas », répond-il au journaliste pourrait croire que cet ancien haut fonctionnaire ne se considère pas comme un Premier ministre politique. Et Jean Castex d’expliquer que cela fait dix ans qu’il fait de la politique par son aptitude à négocier, fédérer et agir par les territoires. Certes, cette expérience est moins visible que celle d’un parlementaire, mais à ses yeux, elle la vaut bien. Message implicite aux parlementaires de la majorité qui imagineraient que le premier ministre ne serait qu’un exécutant aisément contournable. D’ailleurs, Jean castex brandit encore les institutions pour revendiquer son rôle  : en tant que chef du Gouvernement, il est chef de la majorité parlementaire. Petite rectification claire et ferme envers ceux qui croient que le poste de premier ministre est supprimé, la Constitution répartit clairement les rôles. Le Premier ministre met en oeuvre le cap fixé par le président de la République, en accord avec la majorité parlementaire. Et pour que sa position vis-à-vis d’Emmanuel Macron soit clairement établie aux yeux de tous, Jean Castex précise explicitement les choses, il refuse d’être considéré comme un « collaborateur » ou un « subordonné voué aux tâches secondaires ». Ce que le président n’envisage absolument pas selon lui.

Le poste de Premier ministre existe toujours bel et bien. Et Jean Castex aussi. En quelques déclarations et interviews, le nouvel hôte de Matignon a posé quelques balises. Il se veut gaulliste social, attaché à la Constitution, à la laïcité et l’autorité. Son style mélangera volontarisme et expérience, avec le souci de rassembler, mais sans consensus mou. Franchement, ces intentions ne ressemblent pas à la feuille de route d’un Premier ministre effacé de l’organisation politique de la majorité. La composition du gouvernement confirmera la portée véritable de ces intentions.