
Devant des caméras dont les projecteurs jettent un halo un peu cru sur cette scène de nuit, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon se sourient avec courtoisie. “Pourtant vous avez parlé de xénophobie tout à l’heure, monsieur Mélenchon…” pique un journaliste.
“Poh, poh, poh…” réagit le patron de la France Insoumise qui a expliqué un peu plus tôt dans la journée que “le plus xénophobe qu’on ait, c’est quand même lui ! Le président de la République française.”
Visiblement, Jean-Luc Mélenchon n’a pas du tout envie de répéter son compliment abrupt droit dans les yeux du chef de l’État. Il essaie d’esquiver les questions et reste coi.
Mélenchon à contre-emploi
Le succès de cette vidéo repose dans le contre-emploi dont n’arrive pas à se dépêtrer Jean-Luc Mélenchon. Autant ses mots sont rudes quand il parle de son adversaire préféré en son absence, autant son ton est déférent quand il est face au président de la République. Ces deux niveaux d’expression pourraient relever d’une adaptation au contexte. N’importe qui parle plus familièrement de l’attitude trop raide de son banquier devant ses collègues que face au même banquier quand il s’agit de négocier une autorisation de découvert. Malheureusement pour Jean-Luc Mélenchon, les projecteurs jettent une lumière crue qui n’éclaire pas le contexte. Mais il serait insuffisant de s’en tenir là. Car cette vidéo révèle une autre ambiguïté bien plus rarement offerte aux caméras.
Si Jean-Luc Mélenchon parvient à se sortir de ce mauvais pas, c’est parce qu’Emmanuel Macron, au lieu de le laisser s’enferrer dans un double langage, vole à son secours.
“Vous l’avez dit!” témoignent les journalistes.
“Non” murmure dangereusement Jean-Luc Mélenchon.
“Ça m’étonnerait” certifie le président de la République. Il aurait pu soumettre son adversaire politique à la question : vous l’avez dit ou pas ? En cas de dénégation, il aurait pu s’en prendre aux journalistes auteurs de ce fake news. Si Jean-Luc Mélenchon avait assumé, Emmanuel Macron aurait pu lui faire la leçon sur le respect dû à sa fonction, sur l’importance du poids et du sens des mots des responsables politiques. Rien de tout cela ! Une perche aussitôt tendue aussitôt saisie par le patron de la France Insoumise qui enchaîne sur un ton badin :” vous ne pouvez pas le croire… » et obtient une confirmation en forme d’absolution. Mieux, à la fin de cet échange désormais futile, le Président relève l’insolent, devenu si civil qu’il a un genou à terre, et lui donne rang d’interlocuteur respectable :” on continuera cet échange”.
Macron 2 Mélenchon 1
Cette courte scénette permet à Emmanuel Macron de marquer deux points tout en en offrant un à Jean-Luc Mélenchon.
Emmanuel Macron marque un point en clouant le bec au volubile leader de la France Insoumise. La performance a de quoi ravir les députés de la majorité supposés fébriles avant de revenir siéger au Palais Bourbon. La démission brutale de Nicolas Hulot les aurait choqués. Les hésitations du président sur le prélèvement à la source, inquiétés. L’impossibilité de désigner une femme au perchoir, attristés. La subtilité aiguisée avec laquelle leur Président rend aphone celui dont les interventions dans l’hémicycle sont aussi redoutées qu’admirées les rassure et les ravit.
Le président de la République marque également un point en vue des élections européennes. Le match se jouera entre lui et Jean-Luc Mélenchon. C’est le sens de son invitation à poursuivre le dialogue face au leader de la France Insoumise qui se rengorge comme un second rôle invité à tenir l’affiche avec un acteur oscarisé.
Les moqueries sont le prix à payer pour cet adoubement. Les deux hommes se comprennent à demi mots comme des chevaliers courtois. Ils parlent la même langue. Ils se rudoient à distance et s’épargnent en face à face. Ils se valorisent l’un l’autre. L’excès de l’un répond à la placidité de l’autre. La hauteur élyséenne hisse l’opposant au rang d’interlocuteur exclusif.
À Marseille, les deux hommes se sont choisis.
MEve M