À gauche, les gravats de plusieurs bâtiments sont éparpillés. À droite, l’immeuble s’est écroulé sur lui-même. Mais la conclusion est identique, il faut rebâtir la maison. Il y a deux façons de reconstruire, à plusieurs, avec une méthode commune, ou derrière un homme qui dirige les travaux. La culture de la gauche devrait la pousser vers une reconstruction partagée, celle de la droite a souvent favorisé l’émergence d’un leader charismatique. Sauf que cette reconstruction doit s’opérer à l’ombre d’un duo de leaders non moins charismatiques, aiguillonnés par le collectif illisible des Gilets Jaunes.
Ce lendemain de défaite est très classique à droite. Avec plus ou moins de finesse et de sous-entendus, Laurent Wauquiez est sommé de rendre son tablier. Porte-t-il une grande part de responsabilité dans l’échec ? Sans aucun doute. Il avait mis en orbite une nouvelle étoile, mais il l’a trop vite ramenée dans sa galaxie. Le philosophe François-Xavier Bellamy avait séduit par sa méthode plus ouverte et respectueuse que ses premiers critiques le pensaient. Mais très vite, il s’est enfermé dans le créneau étroit de la droite « manif pour tous ». La « droite Trocadéro » l’a habilement estampillé Édouard Philippe, ramenant vers LREM une partie de l’ancien électorat UMP. Laurent Wauquiez peut payer les pots cassés, comme l’avait assumé Nicolas Sarkozy en 1999. C’est le revers de la médaille du chef. Il a les mains libres, il est obéi, mais il trinque en cas de défaite. La droite aime se donner à un seul homme. Depuis De Gaulle, en passant par Pompidou, Giscard puis Chirac et Sarkozy, elle cultive la nostalgie du chef. Mais quel est aujourd’hui l’homme ou la femme prêt à endosser ce rôle risqué? L’un ou l’une de ceux qui n’ont pas osé le faire en 2017 ? La droite va devoir s’interroger sur cette culture du sauveur. A-t-elle davantage besoin d’un leader ou d’une identité commune ?
À gauche, la reconstruction a déjà commencé sous l’impulsion de plusieurs chefs de travaux. Yannick Jadot a nettement pris l’avantage. Mais la surprise du score des verts ne doit pas en faire oublier la faiblesse relative. Ils font le double du PS ou de LFI, certes, mais 10 points de moins que le RN ou LREM. Même si le potentiel arithmétique dépasse 30 %, l’émiettement est tel qu’il serait imprudent de vouloir mener un rassemblement à l’ancienne, avec un pôle hégémonique que ses supplétifs viennent rallier par intérêt électoral. Les Verts connaissent bien cette pratique sclérosante. La gauche existe mais elle n’est pas monolithique. Le recul de la France Insoumise traduit la complexité de son électorat. Il ne veut pas seulement protester et contester le pouvoir en place. La performance des écologistes, le maintien du PS, allié à Place Publique, traduit une aspiration à une politique active, qui assume ses responsabilités et dont les effets se mesurent clairement.
Plusieurs éléments plaident pour l’invention d’un nouveau logiciel de rassemblement, à droite comme à gauche. La crise des Gilets Jaunes a lancé un message politique clair. La France ne peut rester coupée en deux, entre les zones périphériques et les grandes villes. Les citoyens veulent non seulement être pris en compte, mais exister dans leur diversité notamment géographique ou sociale. Le recul de l’abstention traduit la clairvoyance des électeurs. Ils ont bien compris que certains enjeux obligent à une politique qui dépasse leurs frontières. Le constat vaut également pour ceux qui veulent affirmer leur nationalisme dans la mondialisation. Que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons, l’Europe est une protection.
Marine Le Pen cherche autant à nouer des alliances qu’Emmanuel Macron. Face à ce duel entre deux leaders qui se complaisent dans le rôle du sauveur, la droite et la gauche auront du mal à trouver leur place si elles jouent sur le même registre. Il ne suffit plus de brandir l’épouvantail de son meilleur ennemi pour galvaniser ses troupes. Soit l’épouvantail n’effraie plus, soit les troupes ont besoin d’autre chose. Une idée plus fédératrice, une identité et des valeurs communes, peut-être.
Dans les ronds-points jaunes, les manifestants disent souvent avoir trouvé des amis, des gens comme eux, avec les mêmes frustrations, les mêmes envies, la même colère. Le PS et LR ont peut-être trop longtemps été obnubilés par la victoire électorale, en négligeant ce lien familial.